C’est un peu long
Bien qu’ayant défendu deux dossiers dans cette affaire j’essaie de rester objectif et Me EOLAS m’y aide.
En effet et si le juge avait raison d’avoir écarté mes arguments ?
Je suis d’accord sur le fait qu’il n’y a rien de honteux ou d’absurde dans la décision du juge. La motivation en est légère mais ce n’est qu’une ordonnance de référé donc rien d’anormal. De plus, je mentirais si je n’avouais pas que juridiquement, à la lecture des deux définitions d’éditeurs et d’hébergeur, il est difficile de ranger FUZZ dans l’un ou dans l’autre.
Du coup, je pense que le magistrat que j’avais en face a bien compris le problème (technique et juridique) et a fait un choix éclairé en toute liberté.
Liberté donnée par des définitions légales qui ne collent pas.
Me EOLAS rappelle avec raison qu’il n’y a pas de vide juridique, c’est le rôle du juge que d’adapter l’application du texte aux évolutions de la société et en l’occurrence des technologies.
Alors qu’avait donc comme choix Monsieur Jean-Draher (mon juge) ? Soit me suivre moi, une partie de la doctrine, d’autres magistrats de la même juridiction pour des affaires semblables. Soit mettre le nez dans le texte pour se faire sa propre opinion en professionnel qu’il est.
Il a pris cette option et s’est trouvé en face de deux qualifications juridiques opposées mais aux critères mal établis. Que faire alors ?
Je reprends, nous avons un régime général de responsabilité, et la LCEN qui vient imposer un régime spécial de responsabilité aménagé pour le média internet. Or le Juge s’aperçoit qu’aucune des 3 définitions ne correspond tout à fait. Mon réflexe en tant que juriste est alors de me dire que ce régime spécial ne s’applique pas et de revenir au « régime normal » ! Oui mais là je suis un juge et ma décision va être étudiée et critiquée. Et en réalité le régime normal de responsabilité est très proche du régime d’éditeur mis en place par la LCEN et les conséquences en sont identiques. La solution semble bonne. A tout le moins on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir appliqué le texte spécifique à internet. Il faudrait un petit critère tout de même pour justifier tout cela. Allez j’ai le choix entre la publicité et la rubrique people.
La publicité n’est pas mentionnée dans le constat d’huissier ni par la partie adverse. Qu’est ce qu’il me reste ? Ma rubrique People et le fait que sur son site personnel Eric DUPIN se déclare « éditeur de ses sites » dont FUZZ. C’est bon ça colle ! Je lâche ma pyramide de carte pour la regarder de loin : elle tient toute seule c’est bon (sourire).
Je sors de la tête de notre juge. A mon avis, le coup de la rubrique people c’est comme l’arme par destination : j’ai des gros cailloux dans mon jardin mais ce n’est pas illégal sauf si je tape sur quelqu’un avec. Que l’on vienne me dire que créer une rubrique « people » crée une sorte de présomption de contenu illicite me laisse sans voix. Interdisons GALA, VOICI etc. ça ira plus vite puisqu’ils sont forcément porteurs de contenus illégaux.
De plus, il faut revenir au critère premier qui est le choix de l’internaute de mettre son information dans telle ou telle catégorie. Tiens Laure MANAUDOU en slip, je vais le mettre dans la rubrique « sport ». Elle est illégale celle-là aussi ?
L’existence d’une rubrique people critère de qualification juridique en tant qu’éditeur : excellent, cela va bien tenir 6 mois !
Restons sérieux, ce critère a certainement été relevé par défaut et par opportunité. Une autre fois ce sera autre chose.
Globalement, je ne suis pas certain que ce raisonnement ait été celui du juge. C’est une possibilité.
Ce que j’admets c’est que cette solution est une de celles possibles étant donné le texte actuel. Ce que je n’admets pas c’est qu’elle n’est pas viable du fait qu’elle fait supporter à des particuliers et des professionnels une responsabilité que n’ont même pas les grandes rédactions, alors que leur contenu est écrit par elles, contrôlé, filtré et choisi. Rien de tout cela sur un DIGG LIKE, mais il faudrait que l’administrateur surveille des centaines d’informations. Or le site est gratuit et c’est là le modèle économique du web : donner des outils formidablement puissants pour rien.
Donc si je suis ce raisonnement je ferme FUZZ ! C’est ce que ERIC a fait. Ou alors je rends le service payant pour payer des modérateurs et des juristes confirmés pour faire le ménage en permanence (et encore j’ai vu un constat d’huissier sur un contenu resté 10 h en ligne la nuit). Ou alors je m’appelle google et je peux continuer de proposer mon service gratuit en contrôlant le contenu (ceci dit quand on voit le problème des adwords …).
En dehors de ces choix point de salut puisque mes concurrents, mes ennemis, mon ex-femme, peuvent s’autogénérer des contentieux dont je serai responsable sans rien pouvoir y faire. Je suis responsable des actes de mes enfants, cela me suffit.
Alors le juge a peut être raison mais la solution n’en est que plus choquante si elle est le résultat d’une parfaite compréhension de la loi ce dont je ne doute pas.
Je pense que la loi est incomplète. Il n’y a pas de vide juridique mais elle est simplement mal faite car elle ne prend pas tout en compte. Or une loi se devrait d’être générale et adaptable. La LCEN demande à être amendée pour redéfinir les catégories : il n’y a pas que des FAI, des hébergeurs et des éditeurs.
Entre noir et blanc, il y a du gris, et il va falloir définir les critères pour ces acteurs intermédiaires.
Bah voyons va dire Me EOLAS J’ai paumé l’affaire donc je dis que c’est la loi qui n’est pas bien faite !
(je fais les questions et les réponses )
Oui, je crois que lors de la transposition de la loi, et lors de la rédaction de la directive commerce électronique, il n’y avait pas assez de recul.
Je ne sais pas si cela est mieux aujourd’hui. Ce ne sont pas les changements et évolutions technologiques ou les nouveaux business modèles qu’il faut prendre en compte mais le type d’évolutions. Il nous faut trouver des critères plus pertinents et qui puissent accueillir les futures évolutions ou révolutions. Nous devons penser loin, voire science fiction. Les idées folles sont à retenir en priorité pour mettre à l’épreuve de nouveaux critères de qualification juridique en la matière.
Gérald SADDE – Avocat -