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L’argent public a-t-il une odeur en matière de protection des bases de données ?

Un petit mot rapide d’une nouvelle jurisprudence en matière de base de données. Le droit sui  generis des bases de données a connu de nombreuses précisions ces dernières années à force de décisions. Ce que je considère comme étant un étrange droit s’étoffe peu à peu depuis sa transposition en droit français en 1998.  Avec son arrêt du 23 mars 2010  la Cour de cassation met un terme à l’une des plus anciennes affaires en ce domaine puisque celle-ci a débuté environ en 1998 aussi. De plus l’affaire ne concerne ni plus ni moins que la commercialisation par un tiers de sa base annuaire.

L’intérêt de l’affaire s’est peut-être un peu émoussé avec le temps et d’autres décisions intervenues plus rapidement. Mais le cas reste unique en cela qu’il implique France Télécom  (FT) en tant que service public. Je ne rentrerai pas dans le volet droit de la concurrence de l’affaire mais cet aspect explique pourtant en partie pourquoi la société LECTIEL a pris le risque de recopier servilement l’annuaire de FT pour en faire une exploitation commerciale. Cette base était en effet la seule existante puisqu’elle était l’émanation d’un service public soumis à monopole. (voir commentaire sur legalis.net pour plus de précisions sur les faits)

Ce qui nous intéresse découle directement de cette situation car c’est grâce à ce statut de mission de service public que LECTIEL  a tenté de justifier de la non protection de l’annuaire  de France Télécom par le droit sui generis prévu par l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle. Selon ce texte cette protection n’est applicable qu’au producteur d’une base de données ayant pris l’initiative et le risque des investissements correspondants. Or LECTIEL soutenait que la constitution de l’annuaire n’était que la conséquence de l’exercice par FT de sa mission de service public et qu’elle n’avait, en conséquence, pris aucun risque en terme d’investissements puisque étant  financé indirectement par les contribuables.

Cette théorie impliquait donc que la notion fondamentale d’investissement de la loi de 1998 était incompatible avec une personne qui ne courrait aucun risque dans le financement de ses investissements. Cette analyse de la nécessité d’une prise de risque est unique à ma connaissance et rend cette décision intéressante. La cour va trancher le débat en reprenant les conclusions de l’expert qui a reconnu que FT avait était au-delà de sa simple obligation de constituer et maintenir un annuaire public. La base n’est pas  « constituée seulement des renseignements fournis par les abonnés mais (…) est enrichie d’autres informations, dont plus de la moitié viennent de la société France Télécom, de façon à former un ensemble spécifique pour lequel celle-ci a conçu et défini les opérations utiles en leur affectant les moyens correspondants« . L’expert a listé ensuite les investissements correspondants que la cour relève : sept cent trois hommes par mois de travail correspondant à 10,6 millions d’euros entre 1992 et 2000. La Cour de cassation donne donc  raison à la Cour d’appel d’avoir reconnu à FT la protection du droit sui generis sur la partie de la base de données qui correspond à un enrichissement de la base correspondant au seul annuaire (tout ce qui va au-delà du nom prénom, adresse, numéro de téléphone, donc je suppose).

On a donc le sentiment que la Cour entérine l’importance de la prise de risque dans la reconnaissance  de la réalité des investissements, eux-même sésame indispensable pour bénéficier de la protection. Le fait que la Cour déporte la reconnaissance du droit sui generis sur les éléments non imposés par la mission de services public semble démontrer a contrario qu’il n’y a effectivement aucune protection ouverte pour l’annuaire dans ses données les plus basiques conformément à la défense de LECTIEL. L’investissement doit-il donc être obligatoirement risqué pour le producteur ? S’agit-il d’un critère ignoré jusqu’alors ? J’en doute ! La Cour de cassation confirme surtout le fait que le Producteur d’une base de données  est celui qui finance sa constitution et son entretien, c’est à dire ici, l’Etat français qui en était commanditaire. Dés lors n’est ce pas plus sur la notion de Producteur que la décision est intéressante ? La Cour ne nie certainement pas le caractère protégeable de la base annuaire publique qui a elle aussi nécessité des investissements substantiels, mais nie plutôt que FT en soit le Producteur et propriétaire puisqu’elle a été financée par des deniers publics dans le cadre d’une mission de service public. Dés lors, que devons-nous penser alors de la base constituée hors mission de service public alors même que les investissements nécessaires à sa constitution ont sans doute  tout autant été financés par des fonds publics dans un premier temps à tout le moins. Cette distinction n’est-elle finalement pas un peu étrange ?

Gérald SADDE – Avocat à moitié convaincu

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