Tout le monde est avec moi jusque là ? Bien. L’Internet a été conçu par l’armée et repris par les universités et laboratoires de recherches US pour être un outil d’échanges de la connaissance.
Les militaires en pleine guerre froide y voyaient paraît-il une manière de diviser les risques de perte de l’information numérique en cas de destruction d’un site par l’arme atomique.
Internet, c’est par nature la décentralisation de l’information, sa duplication, la fluidité des données. Internet est, et doit être un océan informatif. Alors mon petit logiciel de partage de fichier il se trouve bien utile car il participe à la raison d’être du web.
Oui mais voilà, il y a des esprits chagrins qui ont décidé d’utiliser mon petit logiciel pour échanger des contenus qui sont protégés par un truc qu’on appelle le droit d’auteur. Il s’avère que tout le monde est content et que la plupart des utilisateurs se sont emparés de ces outils car ils sont bien pratiques.
En effet, pour la plupart des consommateurs la seule limitation à la reproduction d’un morceau de musique a toujours été une limitation matérielle. Avec la numérisation et les différents outils de partage, cette barrière n’existe plus, alors allez leur expliquer maintenant.
Avec les DRM, les majors ont tentés de recréer une rareté, non sur le support mais directement sur le droit d’écouter le morceau. Mais la pilule ne semble pas passer. De beaucoup soutiennent que tout cela sonne en fait le glas d’un modèle économique de distribution des œuvres.
Mais étant donné les intérêts économiques en jeu, le gouvernement tente « de la jouer dure » en proposant la peine graduée (sur les aspects purement juridiques, voir notre article sur le site Roche & Associés concernant la récente jurisprudence « Promusicae » de la CJCE ou directement ici en pdf). Outre que la validité juridique de la procédure est critiquable sur bien des points, il n’est pas certain que la solution soit idéologiquement la bonne.
Je ne fais pas là l’apologie de la contrefaçon mais admettons qu’il y a quelque chose de tout bonnement illogique dans le fait de vouloir réprimer ce qui relève de la nature même du web.
Certains me diront que si on calquait la loi sur la nature humaine cela deviendrait vite un joyeux bazar. Reste que la protection des œuvres par la loi part d’un postulat simple qui reviendrait à dire qu’il faut impérativement protéger les droits de l’artiste afin que celui-ci puisse vivre de ses créations et donc être encore plus créatif. Admettons que ce n’est pas totalement stupide et la protection se justifie amplement. Mais d’autres facteurs entrent aujourd’hui en jeu et notamment le facteur technologique bien entendu mais aussi un certain effet de volume !
Je précise : j’ai le sentiment que le dévoiement des logiciels de partage ne résulte pas tant de la nature humaine (ou française ? ) qui nous pousserait toujours à gruger dès que cela est possible, mais je serais plus partisan de soutenir que les consommateurs n’ont guère eu le choix.
Ce ne serait pas l’appât du gain ou de l’économie qui pousse les consommateurs à pirater mais bien un état de nécessité en quelque sorte.
J’emploie volontairement et paradoxalement le terme « consommateur » depuis quelques lignes car les affreux pirates en question sont bien les consommateurs d’avant et non de sombres bandes organisées qui tireraient profit de tout cela.
Il y a parmi nous des gens biens (dont je pense faire partie), et pourtant combien n’ont jamais téléchargé quoi que ce soit sans trop même savoir si cela était légal ou non (à force de nous faire croire qu’utiliser un outil de partage était illégal on en vient à oublier que certaines œuvres sont tout à fait libres de droit).
Bref comment les honnêtes citoyens deviennent d’atroces contrefacteurs qu’il faut sanctionner sur le seul fondement que leur adresse IP a été enregistrée sur Emule (zut je l’ai dit) ?
La voilà la vraie question ! La majorité n’a pas forcément raison mais on ne peut écarter ses actes d’un revers de main sinon comment expliquer que l’on ait écouté les auteurs en leur temps.
Après tout, la culture n’est-elle pas faite pour être partagée, voire n’est-elle pas revendiquée parfois comme un service public, un service d’intérêt général ?
Pour ma part je serais partisan de dire que l’industrie de la musique l’a bien cherché. Tout est dans le nom : l’industrie. L’industrie du cinéma, l’industrie du disque. L’industrie, l’industrie ! Voilà un terme loin d’être anodin tant il dénote de la séparation de la sphère artistique, et de la sphère financière qui en vit.
En équation : oeuvre = argent, industrie = beaucoup, donc oeuvre X industrie = beaucoup d’argent.
Qui dit industrie dit quantité industrielle et là le consommateur ne suit plus. Les productions d’oeuvres ne cessent d’augmenter. Nous sommes noyés de productions et tout est mis en place pour les rendre toutes indispensables, pour éveiller notre appétit de consommateur. Trop de choix , trop d’envies provoquées, trop de frustrations surtout de ne pouvoir accéder à ce torrent (Bit… ? Ho ho ho !) continuel de nouveautés.
Et puis vient Internet, doucement, formidable outil de communication et de promotion : marketing viral, personnalisé. « On va s’en mettre plein les fouilles ! » se sont-ils dit j’imagine.
Mais là où Internet est génial c’est qu’il est imprévisible car difficilement maîtrisable à la différence d’autres médias.
C’est là qu’arrive mon petit logiciel de partage (Kazaa ?). Peut-on raisonnablement reprocher aux consommateurs de s’engouffrer dans la brèche. Je dirais même « il y a un petit air de revanche ». Tout le monde en a bien profité y compris les artistes. Qui a dit « abuser » ?
Oui, globalement, celle-là je crois qu’ils ne l’ont pas vu venir.
Alors je ne dis pas que c’est juste pour tout le monde et qu’il ne faut pas faire quelque chose, mais bon, j’ai le sentiment qu’ils l’ont bien cherché. C’est ce que l’on appelle le retour de bâton !
Les choses ne reviendront plus dans l’ordre d’avant. Toutes les peines graduées du monde n’y feront rien. Je crois à des modèles comme Deezer.com qui offre de l’écoute en directe, gratuite et légale. Les majors ont d’ailleurs tous signés avec cette société.
C’est du pragmatisme technologique tout bonnement. Deezer colle à la situation exposée. Il permet de satisfaire dans l’instant le besoin d’écoute et de juger de l’œuvre, tout en étant un formidable outil de promotion.
En même temps, Internet étant partout maintenant, Deezer offre une grande liberté aux utilisateurs. J’ai un peu moins le sentiment d’être une vache à lait car j’achète un contenu que j’ai choisi et vérifié dans le flot des publications.
De tels systèmes sonneront peu à peu la fin du partage illégal d’œuvres protégées sur les logiciels de « sharing ». Mais certains artistes accepteront de continuer de diffuser leurs œuvres par ce moyen car c’est aussi grâce à eux qu’ils ont émergé. La notoriété vient maintenant du web et justement. Historiquement, les artistes cherchaient plus la notoriété et la reconnaissance que la richesse. Le problème serait-il là ?
Toujours est-il que la réponse sera certainement « technico-économique » et non juridique. La riposte graduée, c’est la lance de Don Quichotte contre les moulins à vent…
Gérald SADDE – avocat (utilisateur de Deezer)